Editions Globe, Paris, 2023.
Grasset, Paris, 2024.
Delcourt, coll. Encrages, Paris, 2024.
Albin Michel, coll. 10/18, Paris, 2023.
« Elle n’aimait guère évoquer ses zones d’ombre, mais elle avait pourtant fini par les accepter. C’était ainsi qu’elle avait pu prendre à nouveau soin d’elle. C’était ce qui la reliait à la part la plus authentique des gens, la seule qui puisse la rapprocher d’eux, lui faire ressentir de l’empathie pour eux.
Elle le savait, à présent : la vie use ; avec le temps, elle provoque d’innombrables failles et ce sont elles qui façonnent l’histoire de chacun, qui suscitent le désir d’aller chercher plus loin pour voir ce qu’elle recèle. » (p.226)
Actes Sud, coll. « Babel Les Coffrets », Arles, 2021.
Coffret contenant les cinq volumes du « Poids des secrets » : « Tsubaki », « Hamaguri », « Tsubame », « Wasurenagusa », « Hotaru ».
L’Iconoclaste, Paris, 2023.
« Je dois tout à mon père, à notre côtoiement trop court sur cette boule de magma. On me soupçonna parfois d’indifférence, parce que je parlais peu de lui. On me reprocha de l’avoir oublié. Oublié ? Mon père vécut dans chacun de mes gestes. Jusqu’à ma dernière oeuvre, jusqu’à mon dernier coup. Je lui dois ma hardiesse de ciseau. Il m’apprit à tenir compte de la position finale d’une oeuvre, puisque ses proportions dépendaient du regard que l’on poserait sur elle, de face ou levé, et à quelle hauteur. Et la lumière. Michelangelo Buonarroti avait poncé sa Pietà à n’en plus finir pour accrocher le moindre éclat, sachant qu’elle serait exposée dans un lieu sombre. Enfin, je dois à mon père l’un des meilleurs conseils que j’aie jamais reçus :
– Imagine ton oeuvre terminée qui prend vie. Que va-t-elle faire ? Tu dois imaginer ce qui se passera dans la seconde qui suit le moment que tu figes, et le suggérer. Une sculpture est une annonciation. » (p. 229)
« Sculpture, c’est très simple. C’est juste enlever des couches d’histoires, d’anecdotes, celles qui sont inutiles, jusqu’à atteindre l’histoire qui nous concerne tous, toi et moi et cette ville et le pays entier, l’histoire qu’on ne peut plus réduire sans l’endommager. Et c’est là qu’il faut arrêter de frapper. » (p.574)
« Il faut avoir vu les peintures de Fra Angelico à la lueur des éclairs… » (p.579)
L’Iconoclaste, Paris, 2021.
Petite Biblio Payot, Paris, 2013.
Les Étages Éditions, 2024.
Murmure des Soirs, 2023.
« J’appartiens à la communauté des lecteurs qui ne recherchent pas, ou en tout cas pas seulement, un divertissement ou une évasion dans les livres mais une compréhension du monde et même, bien plus encore – mais je parle ici au passé car j’ai fini par me guérir de cette illusion -, le sens de la vie. Dotés d’une forme supérieure de sensibilité, les écrivains perçoivent ce que nous ne percevons pas, ou alors confusément, et par la maîtrise qu’ils ont de la langue, ils parviennent à nous la faire partager, élargissant ainsi le champ de notre conscience. Depuis bientôt cinquante ans, je n’ai de cesse de glaner les petits cailloux blancs qu’ils laissent derrière eux pour nous amener à des vérités à côté desquelles, sans leur clairvoyance, nous serions passés en les ignorant. » (p.73).
Editions Ulmer, 2024.
Gallimard, Folio Classique, 2016.
Traduction et édition de Philippe Jaworski.
« Ils enfourchèrent leur bicyclette par un après-midi de la fin de juin, et partirent dans les collines. C’était la deuxième fois qu’il allait en excursion seule avec elle, et tandis qu’ils roulaient dans l’air tiède et parfumé, plaisamment rafraîchi par la brise marine, il fut profondément ému de voir que le monde était si beau et si bien ordonné, qu’il faisait bon y vivre et y aimer. Ils laissèrent leur bicyclette au bord de la route et montèrent au sommet d’un tertre brun où l’herbe brûlée par le soleil exhalait les senteurs douces et sèches de la moisson, et un sentiment de bien-être.
« Elle a fait son travail », dit Martin alors qu’ils s’asseyaient elle sur la veste du jeune homme, lui allongé tout contre la terre chaude. Il respirait l’odeur tendre de l’herbe fauve qui, pénétrant dans son cerveau, faisait s’agiter ses pensées du particulier à l’universel. « Elle a accompli ce qui est sa raison d’être », poursuivit-il en tapotant affectueusement l’herbe sèche. « L’ambitieuse s’est hâtée de pousser sous les mornes averses de l’hiver dernier, puis elle a fleuri, attiré les insectes et les abeilles, dispersé ses semences, s’est conformée aux impératifs de sa mission et du monde, et … »
Elle l’interrompit : « Pourquoi regardez-vous toujours les choses sous un angle aussi terriblement prosaïque ?
– Parce que j’étudie l’évolution, j’imagine. À vrai dire, je ne regarde avec mes yeux à moi que depuis peu de temps.
– Mais il me semble que votre prosaïsme vous empêche de voir la beauté ; vous détruisez la beauté comme ces garçons qui, en attrapant les papillons, font disparaître la poudre leurs magnifiques ailes. »
Il secoua la tête.
« La beauté a un sens, mais auparavant je l’ignorais. Je me contentais d’accepter la beauté comme une chose dénuée de sens ; elle était simplement là, sans rime ni raison. Je ne connaissais rien à la beauté. À présent je sais, ou plutôt je commence à savoir. Cette herbe est plus belle pour moi maintenant que je sais pourquoi elle est une herbe, et quelle chimie du soleil, de la pluie et de la terre l’a fait devenir ce qu’elle est. La vie d’un brin d’herbe est un vrai roman, savez-vous, et même un roman d’aventures. J’en palpite rien que d’y penser. Lorsque je songe au jeu de l’énergie et de la matière, et au formidable combat qu’elles se livrent, j’ai l’impression que je pourrais écrire une épopée sur l’herbe. » (pp. 181-183).
Editions Rue de Sèvres, 2024.
Actes Sud, 2024.
Urushi clôture le quatrième cycle romanesque d’Aki Shimazaki, Une clochette sans battant, une pentalogie dont les quatre premiers romans sont Suzuran (2020), Sémi (2021), No-No-Yuri (2022) et Niré (2023).
Murmure des soirs, 2024.
Le 11 mai 2024 :
« Déjà ! Viens voir, Saku.
À mi-hauteur du mur neuf, sur la gauche, quelques petites étoiles roses frémissent entre deux pierres.
– L’herbe à Robert ! Elle est déjà là à s’enraciner. Ah ! Saku, je te l’ai promis ! Va chercher une bouteille de ton bon rosé, et je te raconterai ce qui me lie à cette jolie sauvageonne, hé !
Assis dans l’herbe à côté de Louis, le dos bien calé contre le mur, Sakutarô lève son verre, le fait tourner entre ses doigts, y observe les jeux de lumière et attend. Louis boit un peu, toussote, aspire une nouvelle gorgée.
– Ah ! Saku ! Depuis le temps que tu me vois travailler le plus souvent torse nu, tu as bien remarqué cette cicatrice sur ma hanche gauche. […] Une chute de quatre mètres, plusieurs fractures du bassin et du fémur, des mois sans pouvoir poser le pied à terre. Pour un garçon turbulent comme je l’étais… Voilà…
Long silence.
– Devoirs à domicile, lectures. Je crois avoir lu tout le rayon « jeunesse » de la bibliothèque municipale, Alexandre Dumas, Jules Vernes, Alain-Fournier, tout y est passé. Même si cela me permettait de rêver un peu je sombrais peu à peu dans la déprime.
Louis vide son verre et, saisissant la bouteille, le remplit aussitôt.
– Un jour de beau temps, pensant bien faire, ma mère a installé ma chaise longue sur le perron pour que je puisse voir mon frère et nos amis jouer au ballon. Tu imagines ! Spectacle insupportable ! Alors j’ai détourné les yeux et regardé obstinément le mur qui longe l’escalier. Plusieurs touffes roses de géranium Robert y fleurissaient. Je me souvenais pourtant avoir vu ma mère, une dizaine de jours plus tôt, occupée avec un petit couteau à débarrasser les pierres des mousses et des herbes. Ainsi la vie, même arrachée, renaissait, s’épanouissait ! Ce fut le déclic. Je me suis mis à faire sérieusement les exercices physiques prescrites, quelques semaines plus tard je marchais et retournais à l’école.
– Belle histoire Louis ! C’est ainsi que tu es devenu jardinier ?
– Oh ! Pas tout de suite. Poussé par mes parents et mon goût de la lecture, j’ai d’abord fait des études d’instituteur. J’ai aimé ce métier cinq ans, puis l’appel, le goût du « baiser de la terre » a été le plus fort.
– Le bonheur, enfin !
– Bonheur, qu’est-ce que cela veut dire ! Non ! La vie, avec ses naissances, ses morts, ses joies, ses peines. La vie, simplement. Se laisser caresser, agripper par le monde, et, le temps qui file, le faire chanter quand il vous glisse entre les doigts. C’est tout ! Tu comprends, Saku ?
Comprendre ? Le regard perdu dans le vague, Sakutarô sourit, écoute les paroles de Louis, leur musique mêlée au chant des criquets, à quelques beuglements lointains, au gazouillis des hirondelles volant en piqué au-dessus de la cour, au crissement près de son front des feuilles du tilleul parcheminées par la sécheresse. » (pp.92-94.)
Nouvelle traduction par Jean-Jacques Greif, Tristram, 2022.
Editions du Seuil, « La Librairie du XXIe siècle », 2023.
Le 3 avril 2024 :
« Jean-Jacques Goldman n’a jamais varié de cette ligne sociale-démocrate, mais si l’on regarde de plus près, à travers ses chansons et ses interviews, on constate qu’il a été profondément influencé par les conceptions marxistes en vigueur dans sa famille (le contraire eût été surprenant) :
– c’est la vie socio-économique qui détermine la conscience des individus, et ce matérialisme historique nourri de sciences sociales révèle le conditionnement de nos choix, alors que nous croyons agir en toute liberté ;
– un des grands maux de la société est le « fétichisme de la marchandise », avec ses objets, ses marques, ses modes, ses spectacles, tout ce qui est vain et secondaire ;
– malgré le capitalisme qui voudrait réduire nos vies à des quantités, des chiffres et des profits, il y a des choses qui ne s’achètent pas, comme la liberté ou l’amitié, et l’on est riche de ça ;
– il faut lutter contre toutes les formes d’aliénation, celle du travail en usine, celle de la société de consommation, mais aussi celle de l’industrie culturelle (au sens d’Adorno et Horkheimer), responsable par exemple du matraquage d’un tube à la radio ;
– l’oppression subie par autrui nous touche personnellement et nous oblige à résister ensemble, au-delà de nos appartenance ethno culturelles ;
– l’émancipation des individus dans une société d’égaux est l’objectif ultime, selon les principes de justice et de fraternité.
Comme Albert Goldman a fui les appareils pour préserver les idéaux de sa jeunesse, Jean-Jacques retranche du marxisme la violence, la dictature du prolétariat, la destruction de l’état bourgeois, au profit d’une pensée « rouge » dédiée au bonheur des hommes : travail et temps libre pour tous, instruction gratuite obligatoire, égalité des chances, fin des discriminations, disparition de la misère. Pendant leurs congés, les ouvriers iront voir la mer. » (p.49).
Editions Les Arènes, 2017.
Le 11 mars 2024 :
«Leur bien-être dépend de la communauté : si les plus faibles disparaissent, tous y perdent. » (p.41).
Editions Albin Michel, 2011.
Le 16 décembre 2023 :
«Notre jardin, celui des hommes en quête de savoir, n’est pas un lieu de l’épuisement des sciences, un objet observé à distance, c’est un système sans limite de vie, sans frontière et sans appartenance, nourri au rêve des jardiniers et sans cesse remodelé par les conditions changeantes de la nature. C’est un lieu de sauvegarde des réalités tangibles et intangibles. Un territoire mental d’espérance. » (p.226).
Les éditions Rue de l’échiquier, l’écopoche, 2022.
Le 29 novembre 2023 :
« Observer le vagabondage des plantes, les graines qui ont germé là où la terre et la lumière leur ont offert le meilleur, s’émouvoir de la résilience des coquelicots, nivelles, bleuets, digitales et molènes… Et puis redessiner le chemin. À la Vallée, Gilles vit au rythme de son jardin. Un temps qui s’écoule loin des horloges. « Quand on jardine, on est avec le monde et en dehors d’un certain monde, loin de l’agitation convenue, des rendez-vous, des agendas. Aujourd’hui, tout doit se faire dans l’instant ! Et l’on croit que c’est important. Alors que dans le rapport au temps du jardin, on n’est jamais agacé si quelque chose n’est pas instantané. Pour faire un jardin, il faut un morceau de terre et l’éternité. À la Vallée, la question du temps n’est pas celle de la rentabilité. Elle est dans le temps qu’il fait, le temps qui passe ou ne passe pas, mais qui est celui qui doit être, sans plus. Si j’ai tant besoin de cet endroit, c’est bien parce que je n’y suis pas martyrisé par le temps. »
Alors le jardinier peut rêver : ses mains sont occupées, mais son esprit est libre. « Le jardinier partage cet état avec les artisans. Pendant qu’il travaille, l’esprit voyage, fabrique son rêve, ses fantasmes. Je n’ai jamais vu d’artisans malheureux et je ne me souviens pas d’avoir été malheureux en jardinant, ou alors c’étaient des périodes où j’étais déprimé, ce qui m’est arrivé deux ou trois fois dans ma vie. Sans que j’en sois conscient, le jardin a eu pour moi un rôle thérapeutique quand j’étais enfant. »» (p. 80).
Sens Et Tonka Editeurs, 2017
Le 29 novembre 2023 :
« IV. Friche
Friche, mot dévalorisé.
On dit : « tomber en friche ».
Contradiction : lieu de vie extrême.
Voie d’accès au climax.
[…]
Presque toujours, le terme de friche s’applique à un terrain qui a cessé d’être travaillé ou qui pourrait l’être. On ne se sert pas de ce mot pour désigner les coteaux sauvages, les prairies abruptes de haute montagne, les arrière-dunes encombrées de chardons bleus ou tout autre milieu dit « naturel ». Non, la friche exclut à la fois la nature et l’agriculture, elle laisse entendre que l’on pourrait faire mieux.
Pourrait-on faire un jardin par hasard ? » (p. 56).
« V. Climax
Climax : niveau optimum de végétation.
Presque toujours, sous nos climats, le climax est une forêt. Si l’on abandonnait tous les sols cultivés de France, le territoire se recouvrirait d’un manteau forestier équivalent à celui qu’ont connu les hommes d’avant la Gaule. » (p.61).
« Le climax est tributaire des conditions de vie. Ces conditions de vie définissent les biotopes. Il y a autant de niveaux climaciques qu’il y a de biotopes – et ceux-ci peuvent se modifier dans le temps. Pour le jardin en mouvement, le climax est un point de mire, une visée possible. Il n’est pas nécessaire de l’atteindre.
En effet, la notion même de mouvement suppose une mobilité visible. Or, la mobilité des bouleversements climatiques n’est pas à l’échelle de temps d’un jardin, en particulier lorsque le climax est de type forestier. À titre d’exemple, il faut à peu près quarante ans pour qu’un sol de culture abandonné à lui-même se transforme en petit-bois de futaie. Ce n’est pas le cas de la friche. » (p.62)
« La friche, elle, est tout à fait à l’échelle de temps du jardin. Son développement naturel évolue de trois à quatorze ans après l’abandon d’un sol à lui-même. Mais on peut accélérer ce processus et « installer » la friche à son niveau de richesse floristique le plus intéressant – c’est-à-dire entre sept et quatorze ans, suivant les cas – de manière presque immédiate, de la même façon que l’on crée un jardin.
Cela est rendu possible par le fait que la friche est généralement riche de toutes les strates végétales, en particulier les strates herbacés et que celles-ci ont un temps d’apparition et de disparition très rapide… Il suffit de gérer ces temps pour reculer l’accès au climax.
Cependant, la connaissance du climax local donne une indication utile sur la série floristique finale dont le jardin est menacé. Comment l’harmoniser avec cette végétation future. Peut-on, d’ores et déjà, l’intégrer ? » (p. 64).
Calmann-Levy, 1956 (édition en IV tomes).
Le 5 octobre 2023 :
« Quant à vous, Morrel, voici tout le secret de ma conduite envers vous : il n’y ni bonheur ni malheur en ce monde, il y a la comparaison d’un état à un autre, voilà tout. Celui-là seul qui a éprouvé l’extrême infortune est apte à ressentir l’extrême félicité. Il faut avoir voulu mourrir, Maximilien, pour savoir combien il est bon de vivre. » (p. 1483-1484).
Futuropolis, 2023.
Epigraphes :
« Des forêts luxuriantes de l’Amazonie aux étendues glacées de l’Arctique canadien, certains peuples conçoivent donc leur insertion dans l’environnement d’une manière fort différente de la nôtre. Ils ne se pensent pas comme des collectifs sociaux gérant leurs relations à un écosystème, mais comme de simples composantes d’un ensemble plus vaste au sein duquel aucune discrimination véritable n’est établie entre humains et non-humains. »
Philippe DESCOLA, Par delà nature et culture, 2005.
« Nous avons vécu dans la fiction d’un roman moderne de séparation qui a mis la nature d’un côté et la culture de l’autre. Mais les choses – et la Loire parmi elles – n’ont jamais cessé de parler, n’ont jamais cessé d’être des causes, des âmes si vous voulez, des principes agissants, animés, qui font que le système Terre dans son ensemble vit, que la Loire parle et agit. »
Bruno LATOUR, devant la Commission du Parlement de Loire, Tours, le 19 octobre 2019.
Actes Sud, 2023
16 mai 2023 :
« Le mot anglais digital se dit en français « numérique ». Le numérique démystifie, dépoétise, déromantise le monde. Il lui vole tout mystère, toute étrangeté, tout ce qu’il approche devient connu, banal, familier, se transforme en like, en identique. Tout devient comparable. Face à la numérisation du monde, il serait urgent de reromantiser la terre, de lui rendre sa poétique, de lui restituer la dignité du mystérieux, du beau, du sublime. » (p.25)
« Depuis que je travaille au jardin, j’ai un sentiment étrange, un sentiment que je ne connaissais pas auparavant et que je ressens physiquement. C’est sans doute un sentiment de la terre qui me rend heureux. Peut-être la terre est-elle un synonyme du bonheur qui de nos jours s’éloigne peu à peu de nous. Retour à la terre signifie par conséquent retour au bonheur. La terre est la source du bonheur. Mais aujourd’hui nous l’abandonnons, notamment dans le sillage de la numérisation du monde. Nous ne recevons plus la force de la terre, qui anime et qui rend heureux. Elle est réduite à la taille de l’écran. » (p. 28).
Grasset, 2016
01 avril 2023 :
« …prends garde au froid, veille sur tes jardins secrets, deviens riche de tes lectures, de tes rencontres, de tes amours, n’oublie jamais d’où tu viens… » (page 214, Le Livre de Poche).
Albin Michel, 2022
Gallimard, 2022
Grasset, 2022
Actes Sud, 2020
21 août 2022 :
J’ai pu mettre à profit mes vacances d’été pour, enfin, lire le dernier livre de Baptiste Morizot, « Manières d’être vivant », paru chez Actes Sud en 2020, dans la collection « Mondes sauvages. Pour une nouvelle alliance ».
« Manières d’être vivant » est un recueil de plusieurs essais d’écologie-éthologie philosophiques.
C’est un livre formidable dans lequel Baptiste Morizot s’appuie sur des expériences de terrain, notamment sur la piste des loups dans les montagnes du Vercors en France, pour construire plusieurs concepts philosophiques très féconds, qui, je pense, pourraient bien servir à nourrir une politique locale positive, fédératrice, qui réponde aux multiples enjeux des crises que nous traversons.
Se basant notamment sur l’éthique de Spinoza qui nous incite à cultiver ce qu’il y a de meilleur en nous, pour notre propre bien, notre « santé », notre « joie » (il compare le « conatus » de Spinoza au « loup blanc » de la légende amérindienne cherokee), il démontre comment il nous faut sortir du libéralisme des « intérêts » et reprendre conscience de nos interdépendances avec les autres vivants et tout ce qui vit (y compris le sol), dans des « communautés d’importance » où les relations seraient basées sur le principe des « égards ajustés ». Il ne serait plus question d’opposer des camps (les tenants de la « Nature » contre les extractivistes par exemple, les défenseurs du loup contre les bergers, la passion contre la raison, etc.), mais, jouant les diplomates, d’acter et de démontrer nos interdépendances et l’impérieuse nécessité, quelque soit le point de vue de chacun, le camp d’origine (berger ou loup par exemple), de reconnaître que nous partageons des enjeux vitaux communs, notamment l’habitabilité de notre territoire, et « une vulnérabilité mutuelle » (p.270) face à ceux-ci.
Je souligne : « Dans une pensée écopolitique des interdépendances, le problème n’est plus de jouer l’indépendance contre la dépendance, c’est l’art de faire la différence entre les liens qui libèrent et les liens qui aliènent. » (p.274)
Seuil, 2022
15 juin 2022 :
Un des plus beaux romans que j’ai lus ces dernières années !
Une ode à la nature, un roman d’initiation à la liberté, à la poésie et à l’intelligence.
Dans les paysages du Yorkshire juste après la Seconde Guerre mondiale.
De toute beauté.
HongFei, 2021.
Cherche midi, 2018
8 mai 2022 :
Certains romans sont comme des jardins, enclos, structurés autour d’un grand arbre central – le personnage principal – et de quelques autres sujets plus ou moins importants. Le narrateur jardinier trace quelques chemins aventureux ou poétiques. Il décrit les scènes, quelques parterres entretenus, le plus souvent par la main de l’homme, sinon par les machines, ou pire, avec quelques produits chimiques. Certains romans sont comme ces jardins et n’offrent qu’une vision très limitée, voire anthropocentrée, de l’homme sur la nature ; les évènements y sont réduits aux schémas et aux scénarios que l’homme est capable de projeter autour de lui. Mais la littérature peut davantage. Elle peut nous ouvrir à beaucoup plus grand, à beaucoup plus beau ; à l’immensité, à la complexité de la vie ; la nature, le sauvage. Elle peut nous en dire plus sur qui nous sommes véritablement, nous sujets humains, homo sapiens ; nous les « occupants » du monde, trop occupés à nous « développer », en oubliant de regarder, d’admirer et de préserver toute la beauté du reste du Vivant.
« L’Arbre monde » de Richard Powers n’est pas de ces romans-jardins. Il est un vaste roman-forêt ; un roman total où neuf personnages se voient décrits tels des arbres-sujets, avec leurs racines profondément ancrées, reliées, interconnectées ; leurs troncs et leurs cimes – la vie dans la canopée – et enfin leurs graines, capables de les transporter sur des distances insoupçonnées. Ces neufs personnages aux destins tellement différents tentent de survivre dans cette forêt-monde, menacée par la violence des hommes, par le capitalisme destructeur et le développement numérique porté par les licornes de la Silicon valley. Ils chercheront chacun refuge dans la lutte pour la sauvegarde de l’Arbre-monde. La violence du combat les confrontera à la mort d’un des leurs et aux risques que l’homme fait peser sur lui-même en s’attaquant de la sorte au Vivant.
Un livre qui nous remet « à l’endroit » du territoire « dont on vit », pour rependre une expression de Bruno Latour…
EXTRAITS :
« Personne ne voit les arbres. Nous voyons des fruits, nous voyons des noix, nous voyons du bois, nous voyons de l’ombre. Nous voyons des ornements ou les jolies couleurs de l’automne. Des obstacles qui bloquent la route ou qui obstruent la piste de ski. Des lieux sombres et menaçants qu’il faut défricher. Nous voyons des branches qui risquent de crever notre toit. Nous voyons une poule aux oeufs d’or. Mais les arbres… les arbres sont invisibles. » (p. 625).
« Ce monde n’est pas notre monde avec des arbres dedans. C’est un monde d’arbres, où les humains viennent tout juste d’arriver. […] Les arbres sont conscients de notre présence. La chimie de leurs racines et des parfums que dégagent leurs feuilles change à notre approche… Quand on se sent bien après une promenade en forêt, c’est peut-être que certaines espèces essaient de nous draguer, ou de nous soudoyer. Tant de remèdes miracles proviennent des arbres, et nous avons à peine gratté la surface de ce qu’ils ont à offrir. Les arbres essaient depuis longtemps d’entrer en contact avec nous. Mais ils parlent à des fréquences trop basses pour que les humaines les entendent. » (p.626).
« Le monde comptait six billions d’arbres quand les humains sont apparus. Il en reste la moitié. Dont la moitié aura encore disparu dans cent ans. Et ce que sont censés dire, selon pas mal de gens, tous ces arbres en voie de disparition, c’est ce qu’on leur fait dire. » (p. 637) « […] Autrefois, les arbres parlaient aux hommes tout le temps. Même les gens normaux les entendaient. » (p.637)
« Ces gens veulent des rêves de percée technologique. Une nouvelle méthode pour transformer la pulpe de peuplier en papier en consommant un tout petit peu moins d’hydrocarbures. Du bois de construction génétiquement modifié qui bâtira de meilleures maisons et arrachera les pauvres du monde entier à leur misère. La réparation qu’ils veulent, c’est simplement une démolition un peu moins coûteuse. Elle pourrait leur parler d’une machine très simple qui ne réclame aucun carburant et très peu de maintenance, qui conserve le carbone en permanence, enrichit l’humus, rafraîchit le sol, nettoie l’air, et s’adapte à toutes les tailles. Une technologie qui se duplique et répand même de la nourriture gratuite. Un engin si beau qu’il mérite des poèmes. Si les forêts étaient brevetables, elle aurait droit à une ovation. » (pp. 643-644).
« Si nous pouvions voir le vert, nous verrions une chose de plus en plus intéressante à mesure qu’on s’en approche. Si nous pouvions voir ce que fait le vert, nous ne serions jamais seuls ou blasés. Si on comprenait le vert, on pourrait apprendre à cultiver toute la nourriture dont nous avons besoin en trois couches d’épaisseur, donc sur un tiers des sols dont nous avons besoin actuellement, avec des plantes qui se protégeraient mutuellement des parasites et des tensions. Si nous savions ce que voulait le vert, nous n’aurions pas à choisir entre les intérêts de la Terre et les nôtres. Ils ne feraient qu’un ! […] Voir le vert, c’est saisir les intentions de la Terre. » (p. 671).
« Je me suis posé la question à laquelle vous me demandez de répondre. […] Quelle est LA meilleur chose qu’un humain puisse faire pour le monde de demain ? […] » (pp.672-673)
« Vous m’avez demandé comment réparer la maison. Mais c’est nous qui avons besoin d’être réparés. Les arbres gardent en mémoire ce que nous avons oublié. Chaque spéculation doit faire de la palace à une autre. Mourir, c’est aussi la vie. » (pp.685-686).
Graines.
« Disons que la planète naît à minuit et que sa vie court sur un jour.
Au début, il n’y a rien. Deux heures sont gaspillées par la lave et les météores. La vie n’apparaît pas avant trois ou quatre heures du matin. Et même alors, c’est seulement d’infimes bribes qui se dupliquent. De l’aube à la fin de la matinée – un milliard d’années de ramification – rien n’existe que de maigres cellules simples.
Et puis il y a tout. Quelque chose de fou arrive, peu après midi. Une variété de cellule simple en asservit deux ou trois autres. Les noyaux acquièrent des membranes. Les cellules développent des organelles. Un camping solitaire donne naissance à une ville.
Les deux tiers du jour sont passés quand animaux et plantes prennent des chemins séparés. Mais la vie n’est encore que cellules simples. Le crépuscule tombe avant que la vie composée s’impose. Tous les grands organismes vivants sont des retardataires qui n’arrivent qu’à la nuit. À neuf heures du soir apparaissent méduses et vers de terre. L’heure est presque écoulée quand survient la percée : épines dorsales, cartilage, une explosion de corps possibles. D’une minute à l’autre, d’innombrables tiges et branches nouvelles éclatent et s’égaillent dans la frondaison qui s’étend.
Les plantes parviennent à la terre juste avant vingt-deux heures. Puis les insectes, qui aussitôt décollent. Quelques minutes plus tard, les tétrapodes s’arrachent à la boue des marées, en charriant sur leur peau et dans leurs tripes des univers entiers de créatures plus anciennes. Vers onze heures, les dinosaures ont fait leur temps, et laissent la barre aux mammifères et aux oiseaux pour une heure.
Quelque part dans ces soixante minutes, très haut dans la canonnée phylogénétique, la vie se fait consciente. Des créatures commencent à spéculer. Des animaux apprennent à leurs enfants le passé et le futur. Des animaux apprennent à avoir des rituels.
L’homme moderne au sens anatomique se pointe quatre secondes avant minuit. Les premières peintures rupestres apparaissent trois secondes plus tard. Et en un millième de clic de la grande aiguille, la vie résout le mystère de l’ADN et se met à cartographier l’arbre de vie lui-même.
À minuit, la plus grande partie du globe est convertie en cultures intensives pour nourrir et protéger une seule espèce. Et c’est alors que l’arbre de vie devient encore autre chose. Que le tronc géant commence à vaciller. » (pp. 699-700).
« Il n’y a pas d’arbres isolés dans une forêt. […] Il n’y a plus de nature sauvage. La forêt a succombé à la sylviculture sous assistance chimique. Quatre milliards d’années d’évolution, et c’est comme ça que ça va finir. Politiquement, concrètement, émotionnellement, intellectuellement : les humains, c’est tout ce qui compte, c’est le dernier mot. On ne peut pas mettre un terme à l’appétit humain. On ne peut même pas le ralentir. Même la stabilité coûte trop cher pour l’espèce. » (p. 706).
Richard Powers, L’Arbre monde, Traduit de l’anglais (Etas-Unis) par Serge Chauvin, Cherche Midi, 2018.
Philippe Rey, Paris, 2021
http://www.philippe-rey.fr/livre-La_plus_secrète_mémoire_des_hommes-504-1-1-0-1.html
Martin CRAWFORD
Ulmer, Paris, 2017
https://www.editions-ulmer.fr/editions-ulmer/la-foret-jardin-creer-une-foret-comestible-en-permaculture-pour-retrouver-autonomie-et-abondance-600-cl.htm
Verdier, 2021
Lisbonne, 1942, Traduit de l’espagnol par Charles-A.Drolet aux éditions Septentrion
12 octobre 2021
Actes Sud, Arles, 2019
https://www.actes-sud.fr/vivre-avec-la-terre
1er août 2021,
Citation page 140 :
Éditions La Découverte, Les Empêcheurs de penser en rond, Paris, 2021.
https://www.editionsladecouverte.fr/ou_suis_je_-9782359252019
Actes Sud, Mondes sauvages, Arles, 2019
https://www.actes-sud.fr/catalogue/nature-et-environnement/habiter-en-oiseau
Gallimard, Blanche, Paris, 2019.
https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/La-panthere-des-neiges
Gallimard, Blanche, Paris, 2019
https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Les-avalanches-de-Sils-Maria
« […] les pierres enfin, elles aussi soumises à l’entropie, à la transformation, à la mutation, à la métamorphose, mais cette fois-ci plus proches encore des longues durées de l’éternel retour, en regard de cycles géologiques : ce qui anime l’éphémère qui meurt le soir du jour qui a vu sa naissance est semblable à ce qui anime la croûte terrestre : ces lacs géologiques un jour en fusion se sont durcis plus tard après pressions diverses et coulures singulières : quartz, gypses, schistes, granites disposent d’entités séparées parce qu’ils ont une généalogie, une enfance, une adolescence, un temps adulte et une scénescence différents… Du magma orange en fusion jadis sans oeil humain pour le voir à la poudre de sable dans laquelle scintille la lumière que je regarde dans mes mains au bord du lac, il y a le trajet d’une vie de pierre. »
Michel ONFRAY, « Les Avalanches de Sils-Maria. Géologie de Frédéric Nietzsche », Gallimard, 2019, page 46.
Sylvain TESSON
Gallimard, Blanche, Paris, 2010.
https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Dans-les-forets-de-Siberie
Marcel PROUST
Gallimard, Blanche, Paris, 1917.
https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Du-cote-de-chez-Swann
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